Éternels Éclairs

Chanson de la Seine

La Seine a de la chance Elle n’a pas de soucis Elle se la coule douce Le jour comme la nuit Et elle sort de sa source Tout doucement sans bruit Et sans se faire de mousse Sans sorti de son lit Elle s’en va vers la mer En passant par Paris La Seine a de la chance Elle n’a pas de soucis Et quand elle se promène Tout le long de ses quais Avec sa belle robe verte Et ses lumières dorées Notre-Dame jalouse Immobile et sévère Du haut de toutes ses pierres La regarde de travers Mais la Seine s’en balance Elle n’a pas de soucis Elle se la coule douce Le jour comme la nuit Et s’en va vers le Havre Et s’en va vers la mer En passant comme un rêve Au milieu des mystères Des misères de Paris.

— Jacques Prévert (1900-1977)
Spectacle

Dans Paris

Dans Paris il y a une rue ; Dans cette rue il y a une maison ; Dans cette maison il y a un escalier ; Dans cet escalier il y a une chambre ; Dans cette chambre il y a une table ; Sur cette table il y a un tapis ; Sur ce tapis il y a une cage ; Dans cette cage il y a un nid ; Dans ce nid il y a un œuf, Dans cet œuf il y a un oiseau. L'oiseau renversa l'œuf ; L'œuf renversa le nid ; Le nid renversa la cage ; La cage renversa le tapis ; Le tapis renversa la table ; La table renversa la chambre ; La chambre renversa l'escalier ; L'escalier renversa la maison ; la maison renversa la rue ; la rue renversa la ville de Paris.

— Paul Éluard (1895-1952)
Dans Paris il y a ...

Enfants de la haute ville

Enfants de la haute ville filles des bas quartiers le dimanche vous promène dans la rue de la Paix Le quartier est désert les magasins fermés Mais sous le ciel gris souris la ville est un peu verte derrière les grilles des Tuileries Et vous dansez sans le savoir vous dansez en marchant sur les trottoirs cirés Et vous lancez la mode sans même vous en douter Un manteau de fou rire sur vos robes imprimées Et vos robes imprimées sur le velours potelé de vos corps amoureux tout nouveaux tout dorés Folles enfants de la haute ville ravissantes filles des bas quartiers modèles impossibles à copier cover-girls colored girls de la Goutte d’Or ou de Belleville de Grenelle ou de Bagnolet.

— Jacques Prévert (1900-1977)
Grand bal du printemps

Épilogue

Le cœur content, je suis monté sur la montagne D’où l’on peut contempler la ville en son ampleur, Hôpital, lupanars, purgatoire, enfer, bagne, Où toute énormité fleurit comme une fleur. Tu sais bien, ô Satan, patron de ma détresse, Que je n’allais pas là pour répandre un vain pleur ; Mais comme un vieux paillard d’une vieille maîtresse, Je voulais m’enivrer de l’énorme catin Dont le charme infernal me rajeunit sans cesse. Que tu dormes encor dans les draps du matin, Lourde, obscure, enrhumée, ou que tu te pavanes Dans les voiles du soir passementés d’or fin, Je t’aime, ô capitale infâme ! Courtisanes Et bandits, tels souvent vous offrez des plaisirs Que ne comprennent pas les vulgaires profanes.

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Petits poèmes en prose

Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu’il m’en souvienne La joie venait toujours après la peine. Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l’onde si lasse Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure L’amour s’en va comme cette eau courante L’amour s’en va Comme la vie est lente Et comme l’Espérance est violente Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure

— Guillaume Apollinaire (1880-1918)
Alcools

Paris

Où fait-il bon même au coeur de l’orage Où fait-il clair même au coeur de la nuit L’air est alcool et le malheur courage Carreaux cassés l’espoir encore y luit Et les chansons montent des murs détruits Jamais éteint renaissant de la braise Perpétuel brûlot de la patrie Du Point-du-Jour jusqu’au Père-Lachaise Ce doux rosier au mois d’août refleuri Gens de partout c’est le sang de Paris Rien n’a l’éclat de Paris dans la poudre Rien n’est si pur que son front d’insurgé Rien n’est ni fort ni le feu ni la foudre Que mon Paris défiant les dangers Rien n’est si beau que ce Paris que j’ai Rien ne m’a fait jamais battre le coeur Rien ne m’a fait ainsi rire et pleurer Comme ce cri de mon peuple vainqueur Rien n’est si grand qu’un linceul déchiré Paris Paris soi-même libéré

— Louis Aragon (1897-1982)
Non renseigné

Paris

Ô Paris, ville ouverte Ainsi qu’une blessure, Que n’es-tu devenue De la campagne verte. Te voilà regardée Par des yeux ennemis, De nouvelles oreilles Ecoutent nos vieux bruits. La Seine est surveillée Comme du haut d’un puits Et ses eaux jour et nuit Coulent emprisonnées. Tous les siècles français Sibien pris dans la pierre Vont-ils pas nous quitter Dans leur grande colère ? L’ombre est lourde de têtes D’un pays étranger. Voulant rester secrète Au milieu du danger S’éteint quelque merveille Qui préfère mourir Pour ne pas nous trahir En demeurant pareille.

— Jules Supervielle (1884-1960)
Poèmes de la France malheureuse

Paris

Paris n'a de beauté qu'en son histoire, Mais cette histoire est belle tellement ! La Seine est encaissée absurdement, Mais son vert clair à lui seul vaut la gloire. Paris n'a de gaîté que son bagout, Mais ce bagout, encor qu'assez immonde, Il fait le tour des langages du monde, Salant un peu ce trop fade ragoût. Paris n'a de sagesse que le sombre Flux de son peuple et de ses factions, Alors qu'il fait des révolutions Avec l'Ordre embusqué dans la pénombre. Paris n'a que sa Fille de charmant Laquelle n'est au prix de l'Exotique Que torts gentils et vice peu pratique Et ce quasi désintéressement. Paris n'a de bonté que sa légère Ivresse de désir et de plaisir, Sans rien de trop que le vague désir De voir son plaisir égayer son frère. Paris n'a rien de triste et de cruel Que le poëte annuel ou chronique, Crevant d'ennui sous l'oeil d'une clinique Non loin du vieil ouvrier fraternel. Vive Paris quand même et son histoire Et son bagout et sa Fille, naïf Produit d'un art pervers et primitif, Et meure son poëte expiatoire !

— Paul Verlaine (1844-1896)
Vers inédits

Paris bloqué

Ô ville, tu feras agenouiller l'histoire. Saigner est ta beauté, mourir est ta victoire. Mais non, tu ne meurs pas. Ton sang coule, mais ceux Qui voyaient César rire en tes bras paresseux, S'étonnent : tu franchis la flamme expiatoire, Dans l'admiration des peuples, dans la gloire, Tu retrouves, Paris, bien plus que tu ne perds. Ceux qui t'assiègent, ville en deuil, tu les conquiers. La prospérité basse et fausse est la mort lente ; Tu tombais folle et gaie, et tu grandis sanglante. Tu sors, toi qu'endormit l'empire empoisonneur, Du rapetissement de ce hideux bonheur. Tu t'éveilles déesse et chasses le satyre. Tu redeviens guerrière en devenant martyre ; Et dans l'honneur, le beau, le vrai, les grandes moeurs, Tu renais d'un côté quand de l'autre tu meurs.

— Victor Hugo (1802-1885)
L’Année terrible

Poésie urbaine

Paris, fierté de la nation, Un million d’appartements, Trop peu pour les pauvres. Les temps sont tristes - Dans le gobelet du mendiant Plus de pluie que de pièces. Malheureusement en hiver Nous manquons de chaleur, Même les cœurs sont froids.

— Stéphen Moysan
En route vers l'horizon

Sur Paris

Un amas confus de maisons Des crottes dans toutes les rues Ponts, églises, palais, prisons Boutiques bien ou mal pourvues Force gens noirs, blancs, roux, grisons Des prudes, des filles perdues, Des meurtres et des trahisons Des gens de plume aux mains crochues Maint poudré qui n’a pas d’argent Maint filou qui craint le sergent Maint fanfaron qui toujours tremble, Pages, laquais, voleurs de nuit, Carrosses, chevaux et grand bruit Voilà Paris que vous en semble ?

— Paul Scarron (1610-1660)
Poème sans recueil
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